Les parfums et les écrivains de langue française

Langage et représentations de l'odeur     

Odeur de sainteté

Introduction

Quelques propriétés linguistiques

Des catégories d'odeur

Perception olfactive et roman :
Émile Zola

Odeur de sainteté

Être au parfum

Bibliographie

Citations extraites
de la base textuelle
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Cette locution attestée après 1650 évoque l'odeur agréable que serait censé produire le cadavre de certains saints ou bienheureux immédiatement après leur mort (cf. J.-P. Albert, Odeur de sainteté, la mythologie chrétienne des aromates, Paris, Éditions de l'EHESS) :

"Pour la première fois, des parfums, violents à la fois et fades, et tels qu'en doit exhaler le corps des chrétiens morts en odeur de sainteté, mais qui annonçaient ici un sursaut de la vie."
Jean Giraudoux, Siegfried et le Limousin, 1922,
Paris, Grasset, 1949, pp. 241-242
De là mourir en odeur de sainteté : "On raconte qu'après avoir gouverné trente-six ans cette église naissante, et réduit la plupart des infidèles à reconnoître leurs erreurs, il se retira dans une solitude à Issoire, et se démit de son évêché, et passa six ans dans une vie particulière et pénitente, après lesquels il mourut en odeur de sainteté"
V.-E. Fléchier, Mémoires des grands-jours d'Auvergne, 1710,
Paris, Hachette, 1862, pp. 115-116

"Il y avoit donc lieu de douter, et elles doutoient effectivement, que ces propositions fussent dans le livre de cet évêque mort en odeur de sainteté, et qui, dans son ouvrage même, paroissoit soumis jusqu'à l'excès au Saint-Siége."

Jean Racine, Abrégé hist. de Port-Royal, 1699,
Oeuvres, Éd. P. Mesnard, T. 4, Paris, Hachette, 1865, p. 526

"Au commencement de 1821, les journaux annoncèrent la mort de M Myriel, évêque de Digne, surnommé Monseigneur "Bienvenu", et trépassé en odeur de sainteté à l'âge de quatre-vingt-deux ans."

Victor Hugo, Les Misérables, 1862,
Éd. M.-F. Guyard, Paris, Garnier, 1957, pp. 207-208
Paradoxalement la notion d'odeur de sainteté comme "réalité" olfactive apparaissant après la mort a été très vite utilisée dans le sens d'une propriété abstraite qualifiant la vie, l'être ou le paraître d'un individu et affectant sa réputation. "mais ce qui le distingua le plus fut une piété tendre et reglée. Il honoroit ses parens, il tâchoit en tout d'imiter son ayeul qui vivoit pour lors à la Chine en odeur de sainteté ; et on remarqua que jamais il ne mangeoit rien qu'aprés s'estre prosterné par terre, et l'avoir offert au souverain maistre du ciel."
L. Le Comte, Nouveaux mémoires sur l'état de la Chine, 1696,
Paris, J. Anisson, p. 406

"il trouvait partout l'apparence de la vertu la plus pure. Huit ou dix séminaristes vivaient en odeur de sainteté, et avaient des visions comme Sainte Thérèse et Saint François lorsqu'il reçut les stigmates sur le mont Verna..."

Stendhal, Le Rouge et le noir, 1830,
Éd. H. Martineau, Paris, Garnier, 1963, p. 176

"De sorte que je ne suppose pas que je doive être très en odeur de sainteté auprès du personnage, et je ne sais pas jusqu'à quel point il a apprécié l'attention de Swann de l'inviter en même temps que moi."

Marcel Proust, La Recherche, À l'ombre jeunes filles en fleurs, 1918,
Éd. P. Clarac, A. Ferre, Paris, Gallimard, 1961, pp. 475-476
Cette notion de réputation pouvant alors s'étendre à des lieux ou des objets : "Il arriva hier ici, dans le Fauxbourg Saint Martin, une avanture assez plaisante. Deux jeunes mousquetaires soupoient avec leurs maitresses, dans une maison dont la réputation n'étoit point en odeur de sainteté."
J.-B. d'Argens, Lettres juives, 1738,
La Haye, P. Paupie, p. 42

"les émissaires de Menzalé ne durent leur salut qu'à leurs écus d'or. Encore que ceux-ci, aux armes de la chrétienté, ne fussent pas ici en odeur de sainteté."

Jacques Lanzmann, La Horde d'or, 1994,
Paris, Pocket, 1995, pp. 272-273
On continue cependant à trouver cette expression utilisée dans sa littéralité originelle et olfactive, chez des écrivains catholiques : "l'auteur inspiré nous la représente, se tenant à l'entrée des voies : songeant peut-être à notre double narine et à ce prélèvement qu'elle opère sur l'émanation de toutes choses qu'on appelle le discernement des esprits ces profondes fosses nasales en nous en communication directe avec la cervelle on parle de l'odeur de sainteté dont ont témoigné tant de restes vénérables et eux-mêmes, les saints, ont parfois assuré que l'âme humaine a une odeur..."
Paul Claudel, Comment. Cantique des Cantiques, 1948,
Oeuvres complètes, T. 22, Paris, Gallimard, 1963, pp. 156-157

"Enfin, après la mort de la princesse, qui eut lieu en 1824, je crois, on reconnut que son cadavre exhalait l'odeur de sainteté..."

Joris-Karl Huysmans, En route, 1895,
Oeuvres complètes, T. 13, Paris, Cres, 1930, pp. 196-197
Ou par dérision : "Il tousse et passe, feint d'arracher un chardon, de rejeter une pierre de la route dans le fossé. Et pourquoi me saluerait-il ? Je ne dégage pas encore cette odeur de sainteté qui charme et conquiert."
Jules Renard, 1898, Journal (1887-1910), 1910,
Éd. L. Guichard et G. Sigaux, Paris, Gallimard, 1960, pp. 497-498

"Pourtant, le curé de Claquebue reniflait chez le vétérinaire comme une odeur de sainteté."

Marcel Aymé, La Jument verte, 1933,
Paris, Gallimard, 1935, p. 113
L'usage le plus courant restant la forme négative : "ne pas être en odeur de sainteté" au sens d'être mal vu. "Angélique n'était pas en odeur de sainteté dans sa famille, et cela paraît en ce fait qu'elle n'a pas même été nommée dans la généalogie de sa famille."
Gérard de Nerval, Angélique, Les Filles du feu, 1854,
Oeuvres, Éd. H. Lemaitre, T. 1. Paris, Garnier, 1958, pp. 560-561

"Le vieux quartier s'étonna, un mois durant, de lui voir épouser Pierre Rougon, ce paysan à peine dégrossi, cet homme du faubourg dont la famille n'était guère en odeur de sainteté."

Émile Zola, La Fortune des Rougon, 1871,
Éd. A. Lanoux, H. Mitterand, T. 1, Paris, Gallimard, 1963, p. 56

"Aussi toutes nos initiatives en matière d'éclairage se heurtaient-elles à une persécution féroce, surtout chez nous qui n'étions pas, comme bien on pense, en odeur de sainteté"

Francis Ambriere, Les Grandes vacances, 1946,
Éd. de La Nouvelle France, pp. 251-252

Philippe Resche-Rigon, LCPE, CNRS