Les parfums et les écrivains de langue française

Langage et représentations de l'odeur     

Des catégories d'odeur :
une expérience de catégorisation libre à partir de 16 odorants

Introduction

Quelques propriétés linguistiques

Des catégories d'odeur

Perception olfactive et roman :
Émile Zola

Odeur de sainteté

Être au parfum

Bibliographie

Page d'accueil

CCRTI

Hypertextes et
textualité électronique

INaLF

 

Le matériel est constitué de 16 flacons contenant des odorants familiers, que les sujets ont eu à respirer.

    vanille
    lavande
    eucalyptus
    fioul
    poisson
    violette
    ail
    herbe
    orange
    pomme
    cannelle
    citron
    anis
    mûre
    chewing-gum à la chlorophylle
    menthe

40 sujets ont participé à cette expérience. Les consignes étaient les suivantes :

  1. Groupez les odorants selon leur ressemblance.
    Vous pouvez sentir les flacons autant de fois que vous le désirez.
    Vous pouvez faire autant de groupes que vous désirez.
  2. Identifiez chaque groupe en lui donnant un nom.
  3. Reprenez chacun des flacons et identifiez l'odeur que vous sentez.
Un magnétophone enregistrait les commentaires des sujets.


À partir des résultats de tous les sujets, on a calculé, par la méthode AddTree (Sattath & Tversky, 1977 ; Barthélémy & Guénoche, 1988, Guénoche & Garreta 1999), une classification moyenne qui se présente sous la forme d'un arbre :

L'arbre des odorants

arbre

Trois classes se distinguent nettement :

  1. Celle qui regroupe les odorants de citron et d'orange.
    Cette classe est majoritairement identifiée par des expressions nominales renvoyant au domaine du végétal (désigné comme fruit, fleur, agrume, etc.) et au domaine du comestible et / ou des activités culinaires (désigné comme confiserie, arômes pour la cuisine, etc.).
    Dans la tâche d'identification, les odorants de citron et d'orange font partie des odorants les moins bien identifiés. Sur les 40 sujets, 8 ont identifié le citron et 4 l'orange.

  2. Celle qui regroupe les odorants de menthe, de chewing-gum à la chlorophylle et d'eucalyptus.
    Cette classe est majoritairement identifiée par des expressions nominales renvoyant également au domaine du végétal (désigné ici comme herbes, plante, etc.), au domaine du comestible et / ou des activités culinaires (désigné ici comme condiment, nourriture en vrac, etc.). Les adjectifs visent plutôt le domaine pharmaceutique (pharmaceutique, médicinal).
    Dans la tâche d'identification, ces odorants sont identifiés par moins de la moitié des sujets : sur 40, 13 ont identifié l'eucalyptus, 17 le chewing-gum à la chlorophylle et 18 la menthe.

  3. Celle qui regroupe les odorants d'ail, de poisson et de fioul.
    L'identification de cette classe est très homogène, elle est fondée essentiellement sur la propriété de déplaisir (désagréable, puante, qui pue, etc.).
    Dans la tâche d'identification, le fioul est reconnu par 26 sujets, le poisson par 10 sujets et l'ail par 6 sujets.


En bref

On observe seulement trois classes, dont les principes de structuration sont différents (domaine de connaissances ou d'activités, propriété hédonique). L'analyse des données montre un jeu complexe entre la sensation, le "nom" que l'on attribue à l'odorant, et les connaissances associées à ce nom.

  1. Identification des odorants et stabilité des catégories
    L'identification de l'odorant (qui suppose que l'odorant soit reconnu et qu'on puisse lui "donner un nom") peut ou non avoir de l'importance dans la stabilité des catégories :
    • la catégorie des agrumes (1) est robuste bien que les odorants qui la constituent soient peu identifiés ;
    • la catégorie des odeurs désagréables (3) présente des odorants très diversement identifiés.

  2. Connaissances, expériences et stabilité des catégories
    En l'absence de noms pour désigner des odeurs, la tâche de catégorisation et d'identification est, pour les sujets, particulièrement difficile. C'est ainsi que plusieurs sujets ont commenté l'importance de donner un nom. Par exemple, le sujet 16 indique :
    "Je donne des noms, aussi, ça nous aide. Donner des noms, ça nous aide aussi de se rappeler. Celles-là, je me précipite pour donner des noms."
    Quand les sujets ont pu donner un nom, ils expriment souvent la volonté d'être cohérents. Il est par exemple nécessaire de "retrouver le même nom". Ce que note le sujet 11 en indiquant :
    "Alors ça, ça, ah je sais plus ; faut pas que je me plante par rapport à ce que j'ai dit tout à l'heure. Il faut que je redise la même chose."

    Le nom et, par suite, les représentations qui y sont associées, sont importants pour expliquer les résultats.
    C'est la variété des représentations associées à une expression qui peut expliquer, dans certains cas, l'absence de classe stable et robuste. Par exemple, la violette, la pomme et la lavande suscitent des identifications relevant à la fois des domaines du végétal, du comestible et des activités culinaires, du parfum et des produits pharmaceutiques. Ils "s'accrochent" à d'autres odorants selon des principes si variés qu'ils n'appartiennent pas à des classes stables. Par exemple, le sujet 35 indique pour la violette :

    "C'est vraiment un savon. Je dirais... C'est la rose. Il y a des bonbons comme ça aussi. Oui une fleur."
    Cette nécessité d'être cohérent peut aller jusqu'à la création de nouvelles catégories ! Par exemple, le sujet 5 a commencé par isoler une classe de "plantes" et une classe de "fleurs", en référence donc à une classification des végétaux. Il a regroupé par ailleurs les odorants de vanille, cannelle, citron et anis. Voici son commentaire à propos de cette classe :
    "Alors, il y a de la cannelle, il y a la vanille et la réglisse. Donc, des... Je ne sais plus comment on appelle ça, comme catégorie. C'est pas, c'est pas des plantes hein ? C'est des... Si c'est des plantes, mais des plantes. Enfin, je ne sais pas. Je ne sais pas comment ça s'appelle. Alors, faut quand même que je donne une étiquette à tout ça. Il y a l'idée de bâton, il y a un bâton de cannelle, un bâton de vanille. La réglisse aussi, c'est en bâton. Allez, je vais dire bâton, des bâtons, des plantes-bâtons. Voilà."
    De manière générale, les classements croisent des connaissances et des expériences personnelles. Cela est explicite dans les commentaires du sujet 11, qui aurait pu proposer, selon ses propres dires, un autre classement :
    "Le groupe 1 [vanille], 6 [violette], c'est plutôt des odeurs de parfums, c'est-à-dire de fleurs. Pas vraiment, puisque là, il s'agit de vanille, mais bon. [La vanille] 1, j'aurais pu le mettre dans ce groupe-là, mais [la violette] 6, c'est franchement une odeur un peu lourde de fleur. Mais maintenant, c'est vrai que la vanille intervient dans les eaux de toilette. Alors, c'est peut-être parce que j'ai une eau de toilette à la vanille que je l'ai mise là."

  3. Identification des odorants et jugements hédoniques
    Identifier une odeur ne représente pas la même chose selon que l'odeur est plaisante et ou déplaisante. L'identification des odeurs désagréables paraît beaucoup moins nécessaire. C'est l'avis du sujet 25 :
    "C'est pas agréable. Ça pue ça. C'est pas agréable. Je donne pas de nom. Ça m'énerve".
    De plus, le jugement porté sur l'odeur varie selon l'identification de cette odeur. Le sujet 38, par exemple, commence par juger l'ail désagréable, puis l'identifie par la suite comme "jus de viande". Cet odorant sera à l'origine d'une classe "odeur de nourriture", jugée plutôt agréable.

Sophie David, CNRS UMR 8528 - Silex
Danièle Dubois, LCPE, CNRS
Jacques Poitevineau, LCPE, CNRS
Catherine Rouby, CNRS ESA 5020 - Université Lyon I

Pour en savoir plus :
le site du Laboratoire de Neurosciences et Olfaction